Colloque international CNAM-INETOP 17 mars 2010 : 


                   "L'accompagnement à l'orientation aux différents âges de la vie. Quels modèles, dispositifs et pratiques ?"

 

Communication faite par LEU, Alain., MURATET, Liliane.

"L'entretien, formation supervision"

 

Résumé : Dans cette démarche, l’entretien de conseil est considéré comme un processus relationnel de co-construction. Le conseiller, sensible aux processus d’influences intersubjectives, développe la « conscience réflexive de soi en relation », pour accompagner le changement du consultant et aider à la prise de décision.

Ces conceptions de l’entretien, de la formation et de la supervision, reposent sur les recherches sur les facteurs communs en relation d’aide. Ces recherches permettent de dégager un profil de l’intervenant « efficace ». Les résultats, soulignent l’importance des caractéristiques liées aux psychologues eux-mêmes, dans l’impact de leurs interventions. L’efficacité des techniques et des modèles d’intervention, repose avant tout, sur l’influence déterminante des caractéristiques du conseiller, sur la qualité de la relation et de l’alliance qu’il établit avec son consultant.

Ces constats fondent les repères théoriques d’une méthodologie de formation et de supervision des conseillers.

Mots-clés : entretien, counseling, formation, supervision, méthodologie LECOMTE.

 

Abstract : In this approach, counselling is considered as a co-construction relational process. The counsellor, as he is aware of intersubjective influence processes, develops a « self-reflexive consciousness in the relationship », in order to help his client’s change and decision making.

This point of view about counselling, training and supervision is based on the research of common factors in therapy, infering what is an « efficient » counsellor. The results underline that the major part of change is due to the therapist’s characteristics. It is noteworthy that the efficacy of technics and approaches lie above all on the counsellor’s variables and on the quality of relationship and alliance with his client.

These statements are the theoretical basement of a training and supervision methodology for counsellors.

Key-words : counselling, training, supervision, LECOMTE’s methodology

 

 

L’entretien de conseil : l'importance de la relation. Un cadre théorique et une méthode de formation.

 

Pour accompagner à l’orientation aux différents âges de la vie, le professionnel doit posséder de multiples compétences, dans différents registres.

Sa professionnalité concerne les processus d’orientation qui s’inscrivent dans les phénomènes de société. Son travail consiste à aider des personnes à établir des liens entre les buts qu’elles poursuivent et les contraintes liées aux contextes socio-économiques. Face aux transformations des sociétés, le conseiller a besoin de théories pour analyser comment l’orientation s’inscrit dans ces nouveaux contextes.

Par ailleurs, les personnes qu’il accompagne vivent des difficultés d’insertion, des moments de transition, de rupture, de déconstruction et de reconstruction identitaire liés au chômage important et à l’instabilité du travail qui caractérisent l’économie mondialisée postmoderne. Des modèles d’analyse de ces phénomènes, arment le conseiller dans son accompagnement. Ils donnent des repères.

Ces théories et ces repères importants ne sont pas suffisants. Il faut aussi que le conseiller ait acquis une capacité à accompagner ses consultants avec respect et efficacité dans l’ici et maintenant de l’entretien. Pour accompagner dans des situations de crise qui génèrent des vécus difficiles, ou dans des transitions déstabilisantes, le conseiller a besoin de repères par rapport à lui-même, par rapport à sa régulation en situation relationnelle. Il a aussi besoin de prendre de la distance par rapport à certaines injonctions de l’institution, pour rester au service de la personne.

Il s’agit pour le conseiller de développer une conscience de soi et de ce qui se joue dans la relation, conscience qui lui donnera suffisamment de solidité intrapsychique pour à la fois écouter son consultant et résister aux injonctions afin d’accompagner de manière optimale. Notre travail se focalise sur ce point.

Notre démarche prend en compte les recherches sur les facteurs communs en relation d’aide, en particulier les travaux de C. LECOMTE, et opérationnalise ces recherches dans une méthodologie de formation et de supervision de l’entretien de conseil.

De multiples méta-analyses, corroborées par notre expérience clinique, soulignent l’importance des caractéristiques liées aux professionnels de l’orientation eux-mêmes dans l’impact de leurs interventions. Elles montrent que la qualité des résultats obtenus, doit beaucoup plus aux différences entre intervenants qu’aux différences entre techniques ou méthodes. Partant de ces résultats, C. LECOMTE propose de dessiner un profil des intervenants « efficaces ». Ses travaux soulignent que l’efficacité, repose avant tout, sur l’influence déterminante des caractéristiques du psychologue et sur la qualité de la relation qu’il établit avec son consultant. Des résultats positifs sont obtenus quand le modèle utilisé, les techniques et les caractéristiques relationnelles de l’intervenant font sens, ensemble. Les implications de ces constats sont au centre de nos préoccupations de formateurs superviseurs.

 

L’entretien de conseil

Dans le cadre de l’accompagnement à l’orientation aux différents âges de la vie, l’entretien individuel est un dispositif utilisé dans différents contextes : orientation scolaire, orientation des jeunes en situation d’insertion, adultes vivant des transitions, bénéficiaires de bilan de compétences, candidats à une VAE...

Les entretiens diffèrent selon les objectifs et le contexte. S’il s’agit d’un entretien d’accueil, la mise en place de la relation va aider à l’explicitation de la demande. S’il s’agit d’un entretien d’information l’objectif sera centré sur l’apport de connaissances et le fait de favoriser les échanges. Il peut aussi s’agir d’un entretien de conseil au sens « aider un consultant à poser une problématique, à la comprendre, et à prendre des décisions en lien avec ses ressources, en tenant compte de l’environnement ». Dans ce cas, la démarche est centrée sur la personne du consultant, avec des objectifs de changement et de prise en compte du processus psychologique lié aux situations de transition. Notre travail se centre sur cette démarche qui peut prendre la forme d’un ou plusieurs entretiens.

Cette approche se situe dans le champ de la psychologie du counseling : elle se réfère à des concepts de la psychologie humaniste (qualité de la relation, capacité du conseiller à entendre le consultant dans sa singularité, à le reconnaître dans son identité). Elle intègre des concepts de différents courants de la psychologie : cognitive (notion de dissonance, de représentations), sociale (valeurs, rôles, influence), systémique (théories du changement), du développement (théories de l’attachement J. Bowlby 1988), de la psychologie du « soi » (D. Stern 1985, H. Kohut 1971 processus identitaires), cela en fait une approche intégrative proche du courant intersubjectif relationnel (Stolorow 1997).

 

Quelques caractéristiques de ce modèle d’entretien

Un déroulement structuré en 3 phases : 1) exploration de la problématique, 2) accompagnement en compréhension, en lien avec les enjeux pour la personne, 3) aide à la prise de décision et concrétisation, en prenant en compte les phénomènes d’autoprotection propres au désir et à la mise en œuvre de changements.

Une alliance de travail, co-construite tout au long du processus. Le travail se fait sur la problématique et sur le rapport du consultant avec cette problématique.

Une posture du conseiller qui co-construit et en même temps impulse une directionnalité, de manière souple et flexible.

Un cadre déontologique : le professionnel garant du dispositif, respecte la personne et tient le cadre, en termes d’espace, de temps, de confidentialité. Respecter le consultant c’est aussi, prendre de la distance par rapport aux injonctions, se mettre au service de la personne dans une posture de neutralité institutionnelle. Pour respecter cette déontologie, une exigence forte s’impose : se former et se donner les moyens d’accéder à des dispositifs de supervision.

Une prise en compte de la personne dans sa globalité : il n’est pas possible de l’aider à comprendre sa problématique, sans en comprendre les enjeux affectifs, les modes de fonctionnement cognitif, de prise de décision, les conséquences de cette décision.

Un processus psychologique qui travaille sur le changement, où le consultant est expert pour lui-même.

 

L’alliance de travail

La relation de confiance et de collaboration qui permet de travailler en entretien, repose en grande partie sur la qualité de l’alliance de travail. Les recherches témoignent d’un lien entre qualité de l’alliance de travail et efficacité, quel que soit le cadre théorique invoqué.

Pour expliciter les « ingrédients » de base de l’alliance de travail, nous ferons référence à BORDIN (1979). Ses travaux montrent que la qualité de l’alliance est basée sur la synergie de trois éléments interdépendants :

le degré d’accord sur les objectifs

le degré d’accord sur les tâches.

la qualité du lien affectif consultant-conseiller favorisant confiance et respect mutuel.

L’alliance de travail en partie consciente et rationnelle peut être clarifiée et négociée, elle est aussi fondée sur des aspects inconscients et affectifs.

Notre conception de l’alliance est dynamique : elle se renégocie tout au long de l’entretien.

C’est la qualité du lien qui va permettre au consultant de se sentir en confiance pour avancer. A chaque avancée dans la prise de conscience et le dévoilement de soi, une nouvelle alliance peut être précisée. Cependant chaque avancée peut provoquer des mouvements d’autoprotection qui menacent le lien. L’entretien se déroule dans une tension. Lorsque le lien est vécu comme fort et fiable, le travail peut se centrer sur les tâches et objectifs. Lorsque le travail provoque des mouvements de repli, le lien est menacé : il y a rupture empathique, il n’est plus possible de travailler tâches et objectifs. Il devient important de renouer le lien avant de revenir aux objectifs.

 

Des compétences spécifiques

Capacité à établir une relation de confiance : c’est toute la personne du conseiller qui entre en relation avec le consultant, dans une interaction verbale et non verbale. Les qualités personnelles du conseiller et en particulier sa capacité à établir, maintenir et si besoin restaurer un lien émotif sont mentionnées dans toutes les études d’efficacité.

Capacité à avoir conscience de ses états subjectifs tout en menant l’entretien. C’est de la responsabilité du conseiller de réguler sa propre expérience subjective et de veiller à la régulation interactive.

Capacité à repérer, comprendre et accompagner les fluctuations de la relation qui sont en lien avec les oscillations de la personne, tout en gardant le cap de l’entretien.

Capacité à développer « la conscience de soi en relation » : concept développé par C. LECOMTE pour nommer la compétence réflexive disponible et utilisable dans l’ici et maintenant de l’entretien.

 

Une formation expérientielle

En lien avec ces conceptions de l’entretien, et les compétences qu’elles supposent, nous proposons une méthodologie de formation.

La formation se centre sur la personne du conseiller en relation avec le sujet. Le conseiller est efficace lorsque le modèle utilisé, les techniques et les caractéristiques relationnelles font sens, ensemble. En formation, il est essentiel de se centrer sur la personne du conseiller et sa manière de s’approprier technique et théorie.

Au cœur de cette formation : des mises en situations

Chaque participant est tour à tour conseiller, consultant, observateur.

Il n’y a pas de jeux de rôles : les entretiens portent sur des difficultés réelles choisies par chaque stagiaire dans sa pratique professionnelle.

Après chaque mise en situation, le conseiller bénéficie d'un temps de supervision.

Le conseiller, à l'aide de grilles d'analyse, retravaille individuellement l'enregistrement de son l'entretien.

La posture du consultant donne lieu à des apprentissages importants : il adresse une demande réelle, l’explicite à un conseiller en espérant être entendu, compris, aidé. Ce vécu, crée une expérience qui sensibilise aux personnes que l’on reçoit ensuite.

Un autre point clef : l’entretien de feedback

C’est une forme de supervision. Le « feedback » porte sur l’entretien qu’a mené le conseiller afin de l’aider à nommer et comprendre sa manière de faire. C’est aussi un moment où le conseiller va s’enrichir du retour de son consultant, et des observateurs, ce qu’il n’a pas dans la pratique réelle.

La diversité des positionnements du stagiaire (conseiller, consultant, observateur) facilite l’apprentissage intégratif et impulse l’émergence de nouvelles compétences par une meilleure compréhension de soi dans les trois postures.

 

La supervision

 

L’entretien de feedback, utilisé en formation, est une supervision basée sur une expérience vécue par plusieurs personnes. Sa spécificité permet un travail sur le croisement des subjectivités.

L’autosupervision est une démarche réflexive d’auto-évaluation : au cours des formations, les conseillers acquièrent des repères et des outils pour analyser leur pratique.

La supervision qui reste indispensable, se fait à partir d’une difficulté apportée par le conseiller dans l’après coup.

Les enjeux consistent à :

nommer ses attitudes et comportements en entretien et mieux comprendre comment ils s’ancrent dans l’histoire personnelle.

repérer ses ressources et ses limites, repérer sa manière de se réguler.

arriver à préciser des pistes de travail prenant en compte les ressources du conseiller, la relation au consultant et le contexte, pour développer sa professionnalité.

Ainsi, un travail dans l’après coup, fait d’allers-retours entre autosupervision et supervision, permet au professionnel de développer la « conscience réflexive de soi en relation » afin « d’utiliser » au mieux qui il est dans l’accompagnement du consultant. Il ne s’agit pas de tout changer mais de mieux s’utiliser en tenant compte de « l’impossibilité de se défaire de soi ».

 

 

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