Alain LEU : "l'entretien de conseil : un travail de relation".
Questions d'Orientation N°4, 1995.
Mars 1993, je suis de permanence au C.I.O. M. Lionel. B. est inscrit au planning des rendez-vous. La secrétaire qui l'a accueilli me dit : " C'est un jeune homme qui veut te voir, toi en particulier, il n'a pas voulu dire pourquoi ".
Lionel se présente comme ancien élève du lycée de V. De fait, je me souviens de lui.
Sa demande est étonnante et pourtant vraie : il a poursuivi ses études, passé un D.U.T., fait son service militaire. Il a un travail et peut-être l'intention de se marier. Se souvenant du contact que nous avions eu et de la manière dont j'avais pu l'aider par rapport à ses choix professionnels, il souhaite avoir un entretien pour l'aider à réfléchir à l'engagement matrimonial qu'il hésite à prendre aujourd'hui.
Je ne suis pas conseiller conjugal...J'ai conscience (en ce domaine) des limites de mes compétences.
Cette anecdote[1] pour souligner qu'il est des moments importants dans la vie où chaque personne peut avoir besoin de réfléchir et quelquefois d'être accompagnée, avant de prendre une décision difficilement réversible qui comporte nécessairement des risques. Le choix matrimonial en est un, l'engagement dans une carrière un autre. Il est devenu commun, de nos jours, de considérer que rien n'est définitif, mais il ne me semble pas qu'un tel argument doive inciter à la légèreté. Ces décisions importantes méritent que chacun s'y arrête et y réfléchisse.
Un des rôles du conseiller d'orientation psychologue est d'accompagner les consultants dans leurs difficultés à choisir, ce qui n’exclut pas, si les personnes le souhaitent, les techniques "d'essais et erreurs" ( petits boulots pour voir, vie à deux sans engagement ) qui font souvent partie des manières de faire des jeunes actuellement.
Par ailleurs, si l’on envisage le problème de l'orientation du point de vue institutionnel, un certain nombre de personnes - y compris parmi les responsables de l'Education Nationale - placent en premier la notion d'information, un peu comme s'il s'agissait simplement d'informer des consultants qui savent ce qu'ils veulent faire. La notion de "projet personnel de l'élève" s'est répandue, mais l'image du Conseiller d'Orientation Psychologue reste souvent celle de l'informateur (l’information dans ce domaine n'est pas si simple et fait intervenir une professionnalité importante tant au plan des contenus que de la psychopédagogie nécessaire). Le conseiller est considéré comme celui qui fournit les renseignements nécessaires au consultant qui aurait terminé d'élaborer ses choix.
Bref, ce point de vue réduit l'orientation à une information de fin de parcours et tente d'ignorer ce qui se joue pour chaque personne en quête de son avenir. Cette information est certes indispensable et le nombre de supports qui fleurissent actuellement le montre bien, mais, le désarroi de certains jeunes ou l’enthousiasme d’autres, « séduits » par un professionnel, mainte fois constaté par les conseillers au retour des "grandes messes de l'information" type Salon de l'Etudiant, laissent perplexe. Je fais l'hypothèse que l'on privilégie ce type d'action parce qu'il est visible et contrôlable en essayant d'oublier que l'information n'est qu'un temps dans un processus de choix.
Les spécialistes de l'orientation scolaire ou professionnelle le savent bien, la question centrale est celle de l'élaboration des choix et ces choix sont pour une large part subjectifs et peu conscients, même si chacun tente à posteriori de reconstruire une rationalité.
Pour mieux répondre à cette question du choix, diverses techniques se sont développées :
- les stratégies d'orientation dites éducatives qui font intervenir l'ensemble de l'équipe éducative sur l'ensemble des niveaux d'enseignement d'un établissement scolaire;
- des logiciels experts, des questionnaires;
- des stages de découvertes des milieux professionnels;
- les forums métiers, les salons;
- les bilans de compétences;
- les tests permettant des expertises de plus en plus fines...
Parmi l'ensemble de ces techniques, il est classique de mentionner l'entretien d'orientation. C'est sur cette relation de face à face entre le conseiller et son consultant que je vais focaliser cet article, pour en montrer le caractère irremplaçable, mettre à jour sa spécificité, définir la professionnalité qu'elle nécessite et partant de là, voir comment cette professionnalité peut se travailler et constituer un ancrage pour les métiers de l'orientation.
Un point commun à toutes les pratiques d'orientation, par ailleurs très hétérogènes, est l'utilisation de l'entretien. Cependant, il n'est pas habituel de considérer l'entretien comme outil de travail, utilisable en soi, dans le processus d'orientation. Le vocabulaire des conseillers mentionne des entretiens d'accueil, des entretiens documentaires, des entretiens de restitution, des entretiens d'investigation, moments de prise d'informations concernant le consultant pour le spécialiste, "l'expert" qui va guider dans son choix la personne à "conseiller". Les entretiens serviraient à écouter une demande, articuler une relation, relier diverses techniques d'expertises, informer le consultant, prendre des informations sur lui, mais ils ne sont habituellement pas considérés comme un processus relationnel, fondement du travail d'orientation.
C'est de l'entretien comme relation de conseil, qui va de l’accueil à la prise de décision dont je veux parler ici.
1 Entendre la demande du consultant pour accommoder la réponse.
Cas n°1
Liliane. M (18 ans, terminale L. Entretien dans le cadre du lycée)
Liliane envisage un métier dans les langues et vient pour demander des informations sur les études post-bac dans ce domaine. Il s'avère assez vite qu'elle connaît les divers débouchés professionnels et les formations correspondantes ; elle a déjà effectué une recherche documentaire autonome, cependant, elle souhaite des précisions à propos des formations d'interprètes et de traducteurs.
Elle en vient rapidement à une question précise : " Et pour le Polonais, qu'est ce qui existe?" que je "reflète" par "C’est le Polonais qui t’intéresse". Une relation de confiance s'étant instaurée, elle aborde sa problématique sous-jacente qu'elle exprime avec une forte émotion : son père était Polonais ; elle n'a pas pu apprendre sa langue à l'école, mais elle le lit et le parle couramment à la maison avec sa mère et sa grand-mère. Par fidélité à son père, pour conserver ses racines, par amour de son pays et de sa langue, elle voudrait faire des études de polonais. Par ailleurs depuis le décès de son père, qui est intervenu au cours de son année de 3éme, elle éprouve de graves difficultés personnelles : elle se sent très fragile, elle a peur de tout ce qui est nouveau et elle se sent incapable de quitter la ville de C. Or elle sait qu'il n'existe pas sur place de D.E.U.G. de polonais.
Son problème d'orientation tel qu'elle se l'explique maintenant peut approximativement se résumer ainsi : d'un côté un désir réel d'effectuer des études de polonais, de l'autre une incapacité à le faire parce qu'il faudrait partir et qu’elle s’en pense incapable.
Compte tenu de l'horaire des rendez-vous au lycée, nous n'avons pas le temps d'aller plus loin maintenant. Je lui propose de "travailler" ensemble lors d'un nouvel entretien qui sera centré sur cette problématique[2].
Comme Liliane, la personne qui se présente d'elle-même devant un conseiller d'orientation psychologue pour une demande en apparence banale (et qui peut être réellement banale) par exemple une information sur des études supérieures, se présente avec sa manière d'être profonde, c'est à dire ses craintes, ses espoirs, ses angoisses, ses certitudes, ses croyances, ses rêves, ses aspirations, ses goûts, ses valeurs, ses incapacités... et sa manière personnelle de les gérer. On peut faire l'hypothèse qu'elle se présentera d'une manière analogue en d'autres lieux pour d'autres choix.
Un premier degré de réponse consiste à fournir les renseignements demandés en vérifiant de quelle manière ils sont reçus. Cela est souvent pertinent et suffisant.
Un second degré peut consister à aider à la formulation d'une demande sous-jacente - quand elle existe - pour lui donner sens et permettre au consultant par la suite d'y réfléchir à sa guise.
A un autre niveau, dans la mesure où le consultant le souhaite, le contenu de la demande sous-jacente peut être «travaillé». Cela peut être le moment d'aider la personne à s'approcher un peu plus de "qui elle est", d'apprendre à mieux se connaître pour gagner en autonomie, à propos de ce choix précis. Ce faisant, le consultant met en route un processus de repérage de son propre fonctionnement, qui lui permettra d'aborder ce problème et les problèmes futurs (choix professionnels, recherche d'emploi, insertion...) avec plus de facilités parce qu’il est plus conscient de ses propres processus d'adaptation, de ses ressources, de ses limites et de la manière dont il les utilise.
Essayer de répondre précisément à cette demande, sans l’outrepasser - qui va du simple renseignement au besoin impérieux de mieux se définir pour avancer sur une difficulté ou pour mieux choisir - et qui est chaque fois, pour chaque personne, singulière, nouvelle, authentique, est le travail du conseiller. Ce travail se construit au travers d'une relation : l'entretien de conseil.
2 Les différents niveaux de réponses et les modes relationnels qu’ils impliquent.
Face à une demande comme celle de Liliane, le conseiller en entretien de face à face, peut adopter des attitudes différentes qui donneront lieu à des modes relationnels différents. Il peut :
- informer : vérifier les informations déjà connues, aider à les structurer, en apporter de nouvelles ;
- se positionner en «expert» : vérifier le niveau, la faisabilité, évaluer les chances de réussite, prendre position sur les débouchés, donner son conseil ;
- convaincre, c’est à dire donner et faire accepter la solution qu’il estime la meilleure ;
- mettre en route quelque chose qui s’apparente à la psychothérapie en choisissant, par exemple, de l’aider à surmonter sa difficulté à partir ;
- proposer une relation d’aide et de conseil, comme je tente de la définir.
Ces différents modes relationnels permettent l’établissement d’une relation d’interinfluence personnelle plus ou moins profonde et plus ou moins proche de la demande du consultant.
Pour aller plus loin dans la définition de la relation de conseil et pour mieux la positionner, il est important d’en baliser les contours en examinant les attitudes qui viennent d’être citées. Elles vont de l’évitement de l’implication personnelle à la tentation thérapeutique en passant par l’utilisation de la relation pour «convaincre» le consultant.
Choisir un mode de relation où l’on évite une implication forte est l’attitude typique de «l’informateur». Sa réponse se limite à la demande de premier niveau et, par crainte de l’outrepasser, pour éviter d’entrer dans une problématique difficile, parce que le rôle du conseiller est d’abord d’informer (et c’est effectivement une part importante de notre travail : fournir l’information précise et utile) le conseiller peut se cantonner dans l’apport de renseignements.
Dans un certain nombre de cas, la demande s’arrête là parce que le consultant ne cherche pas autre chose. Il se peut aussi qu’il ne demande pas autre chose parce qu’il se représente souvent le conseiller d’orientation psychologue comme la personne qui informe. L’élaboration des choix se développe toujours en des lieux multiples avec des personnes diverses, les pairs, les enseignants, les parents... si le conseiller n’est qu’informateur, il ne participe pas à ce processus.
«L’expert», est également dans l’évitement de la relation. C’est celui qui questionne et qui écoute pour dans un second temps apporter son conseil. C'est aussi celui qui à l’aide de tests dresse un profil pour proposer ou vérifier un appariement personne-scolarité ou personne-emploi. Cette position est bien connue, c’est la représentation du conseiller qui est la plus fréquente.
La demande d’expertise est forte de la part des consultants, en particulier de la part des « nouveaux lycéens » (cf. Dubet), qui ne savent pas se définir, ne donnent pas sens à l’école et ne parviennent pas à se projeter dans la société. En quelque sorte, ils attendent l’oracle[3], alors que les consultants appartenant aux classes sociales favorisées, plus sûrs de leur image ont souvent tendance à voir en nous de simples informateurs.
Le rôle d’expert fait partie des missions du conseiller d’orientation : il peut dresser un profil qui va permettre de donner un avis pour une entrée en enseignement spécialisé ou faire passer des épreuves standardisées dans une classe ou à un élève isolé. Dans ces cas, le lieu de la demande, commande institutionnelle ou parentale, ne favorise pas le travail relationnel. L'adhésion du consultant est un préalable incontournable ; il nous appartient alors d'être au clair dans nos rapports à l'institution, pour éviter de s'embarquer dans un désir de faire avec lui, malgré lui, voire contre lui.
Vouloir alterner un travail de relation et un travail d'expertise avec la même personne me semble difficilement compatible.
Du côté relation, il y a le désir d’avancer du consultant, le respect nécessaire de la fragilité de quelqu’un qui se cherche avec authenticité, le fil ténu d’une empathie qui relie deux personnes dans leur globalité, la centration sur la subjectivité.
Du côté expertise, il y a l’arsenal des outils avec leurs consignes qui visent à construire des savoirs objectifs et parcellaires sur le consultant considéré comme objet d’investigation.
Cette incompatibilité peut se résoudre au sein d’une équipe de psychologues en partageant les rôles de manière claire. (cela se pratique dans certains C.I.O., ce qui permet d'effectuer des bilans en ayant un "regard pluriel" et en respectant le travail de relation). Vouloir pour le même conseiller tenir les deux à la fois, pour réaliser quelque chose qui s’apparente à une «expertise humanisée» est une pratique courante en orientation. Le résultat est souvent le suivant : la relation n’est plus alors un travail qui permet au consultant d’avancer, elle est dévoyée pour «faire passer la pilule» de l’expertise.
La réalité est moins manichéenne ; des praticiens et des chercheurs, conscients de cette problématique travaillent à l’élaboration de questionnaires auto-évaluatifs ou d’épreuves dites développementales. Quelle est alors leur place?
Cela n’épuise pas la question de l’expertise[4]. Il faut cependant s’interroger sur la relation que le consultant entretient avec cette expertise et pointer le fait que chaque fois que l’individu se laisse définir par d’autres, il perd en autonomie et diminue sa confiance en lui. "L'entretien de restitution" d'un bilan se joue autour de cette problématique liée au pouvoir de "l'expert", des instruments, face à la personne.
Eviter une implication qui risque de toucher au domaine affectif en se positionnant comme informateur ou comme expert est une possibilité, l’utilisation de la relation, pour convaincre en est une autre.
Dans ce cas, la relation est utilisée à des fins «pédagogiques». Il s’agit de faire admettre la solution qui est jugée la meilleure, pour le bien du jeune, par le conseiller. Dans le difficile contexte actuel il est tentant d’y recourir, retournant ainsi à une forme camouflée d’orientation placement : par exemple, à travers une relation de sympathie, on peut faire travailler un consultant sur ses représentations et lui faire acquérir de «bonnes représentations» de lui et du monde pour qu’il opère lui même le «bon appariement» (celui, que le conseiller juge bon). C’est là un des risques majeurs des méthodes éducatives employées en orientation, si elles ne sont pas centrées sur la personne. Cette dérive est d'autant plus insidieuse qu'elle s'appuie sur notre tentation paternaliste, notre désir de "parent responsable et impatient" face aux jeunes si souvent irréalistes...
La «tentation thérapeutique» est une autre possibilité pour le conseiller. Nombreux sont les consultants, en particulier parmi les jeunes non qualifiés qui sont en grande misère psychologique et qui sollicitent notre "fibre thérapeutique". Certains conseillers ayant les compétences dans ce domaine s’y aventurent. La possibilité de suivre un nombre limité de consultants dans des entretiens répétés et suffisamment longs existe, nous pouvons avoir ce degré de liberté. Cependant la position du conseiller dans l’institution n’est pas favorable à ce type de relation. En effet il se trouve alors seul à se penser comme thérapeute et le risque de se perdre dans une relation ambiguë qui ressemblerait à une «intrusion thérapeutique» sans alliance de travail claire est réel.
Ces attitudes, (mise à distance de l’implication affective dans la relation, utilisation pour convaincre, intrusion thérapeutique) ainsi caricaturées, constituent une typologie grossière des manières de vivre la relation au consultant. Chacun peut y repérer ses propres tendances liées à sa personnalité, à sa formation, à ses modes défensifs, à son fonctionnement profond... Il est possible que le même conseiller selon les difficultés rencontrées oscille de l’une à l’autre. (on peut comprendre que cela n’aide pas la profession à avoir une image claire ni pour elle même ni pour le public).
Par rapport à ces attitudes, il est possible de développer notre capacité à instaurer une «relation de conseil». Cela peut nous donner une place spécifique et constituer un point d’ancrage pour la profession des conseillers d’orientation psychologues. Etre capable d’accepter l’implication dans le registre affectif, mais toujours dans le respect du consultant, nous amène à ajuster la réponse en fonction de la demande. Il y a alors un temps d’ajustement qui permet au consultant de définir le mode de relation et la distance interpersonnelle qui lui convient. S’il le souhaite, il est possible d’avoir avec lui une relation conseil qu’il faut maintenant définir.
3 Un mode de réponse spécifique : l’entretien de conseil.
Cas n°2 Gilles G.
Gilles a 23 ans. Il est bachelier. Entretien au C.I.B.C.
Gilles se présente de lui-même au CIBC pour effectuer un bilan. Il souhaite passer des tests pour "s'orienter". Il verbalise facilement. Une relation de confiance se noue rapidement.
Après son bac, il avait commencé des études de théâtre à l'université. Cela lui plaisait mais il a abandonné parce que les milieux qu'il a été amené à fréquenter ne lui convenaient pas du tout : les personnes qu'il rencontrait étaient superficielles, se contentaient de l'apparence, mentaient pour se faire valoir... Les passe-droits, les injustices lui étaient intolérables... Ensuite, il a séjourné aux Etats Unis, y a travaillé dans divers lieux, mais a souvent quitté ses emplois.
Aujourd'hui, de retour en France, il pense plus ou moins aux carrières du droit, mais il se trouve tellement instable qu'il ne peut pas avoir confiance en lui ; c'est pourquoi il vient passer des tests qui vont lui dire ce qu'il doit faire.
Son instabilité étant l'explication qu'il donne à sa difficulté de choix, je lui propose de focaliser l'entretien pendant un temps sur ce problème, avant de passer à la phase de tests qu'il demande. Cette «alliance de travail» lui convient, nous poursuivons dans ce sens.
Il apparaît, en reprenant les diverses situations auxquelles il a fait allusion, que sous ce terme d'instabilité se cache un refus viscéral de l'autoritarisme, une haine et une peur d'être victime d'injustices. Etant en grande proximité affective avec sa problématique, Gilles aborde rapidement une nouvelle compréhension de sa difficulté. Il fait le lien avec son beau-père militaire qui a voulu le "reprendre en main" après qu'il ait vécu quelques années seul avec sa mère. Il connecte douloureusement un certains nombre de souvenirs. Il met à jour son désir de vouloir commander, son désir de vouloir réparer des injustices pour "compenser". Dans un insight étonnant, il perçoit comment sa colère d'enfant alimente ses attitudes d'aujourd'hui, et joue un rôle qu'il ne soupçonnait pas dans ses choix et ses refus d'orientation. Son désir confus d'exercer un métier du droit en ayant un niveau d'études élevé pour échapper le plus possible au pouvoir des autres et avoir la possibilité d'aider la justice, se clarifie. Son instabilité, il s'en souvient maintenant, c'est son beau-père qui disait cela de lui. Il constate qu'au contraire, à travers tous ces changements, il demeure fidèle à une manière d'être.
Cette "descente" dans son passé, connectée à son orientation d'aujourd'hui, lui permet de voir clair. Il semble avoir acquis une énergie nouvelle. La solution lui apparaît maintenant évidente et il souhaite rapidement passer à l’action. Il comprend mieux ses difficultés mais surtout repère mieux ses ressources et découvre une nouvelle manière de les utiliser. Il ne souhaite plus passer de tests. Un nouveau rendez-vous est pris dans le but de passer à une phase d'information et de vérification devant aboutir à la mise en œuvre de son projet.
3-1 L’entretien de conseil est une pratique psychologique :
Ce processus d'aide au choix ou de résolution de problème concerne la personne dans sa globalité psychologique, une part importante d'inconscient et d'irrationnel étant à l'œuvre dans ces moments de décision. (J'ai le sentiment que plus le choix est important, plus cette part prend de l'importance).
Au cours de ce processus, les domaines affectifs et cognitifs interfèrent de manière dynamique. Autrement dit, progresser par rapport à un choix ou face à un problème ne consiste pas à peser mécaniquement les arguments pour ou contre (comme pourraient le faire certains logiciels, ou certaines techniques d'aide à la prise de décision), c'est vivre un processus dynamique d'influence interpersonnelle avec un conseiller. La relation aidera le consultant à mieux comprendre les émotions qui se cachent derrière les rationalisations, le but étant d'aboutir à un choix plus conscient, reconnu par le consultant, correspondant à ses goûts, ses valeurs, prenant en compte ses sentiments, ses désirs... et cependant réalisable.
L'entretien est donc une situation dans laquelle une relation authentique et respectueuse (au sens Rogérien) peut se développer. Cela permet à la personne de prendre contact avec ses émotions, ses manières d'être, ses résistances... Les approcher, les nommer, les comprendre, permet, de mieux décider, de gagner en autonomie. Là est le rôle psychologique du conseiller d'orientation en entretien, et la spécificité de la relation de conseil.
Ainsi défini, l'entretien est une situation où le conseiller tisse avec son consultant une véritable relation d'aide, qui vise au changement et au développement de la personne. Nous verrons ultérieurement en quoi il diffère d’une relation thérapeutique.
L’entretien ainsi conçu[5] est un espace qui permet au consultant de s’exprimer sur sa difficulté (problème de choix, difficulté scolaire ou personnelle...) en ressentant qu’il est écouté avec bienveillance, sans être jugé ni approuvé, tout en étant accompagné d’une manière sensible avec une directionnalité [6]- nous y reviendrons- dont le conseiller est garant. Le consultant pourra ainsi faire le point, pour amorcer ensuite un processus de changement, aboutissant à un passage à l’action.
Faire le point et amorcer un processus de changement, c’est d’abord identifier sa problématique, la clarifier en explorant le vécu, mettre à jour les difficultés, découvrir les ressources, les croyances, les valeurs qui entravent ou aident à l’élaboration de solutions, pour ensuite construire des stratégies adaptées, réalistes, qui auront des chances d’être mises en œuvre dans la mesure où il s’agit de décisions personnelles.
Le processus d’évolution chez le consultant peut être conceptualisé en termes d’étapes non linéaires que l’ont peut schématiser ainsi :
- l’exploration de soi : il s’agit d’un processus graduel de dévoilement de soi qui va en s’approfondissant au fur et à mesure que la relation s’intensifie. Le consultant explore ses difficultés, s’approche de son problème : il le formule de plus en plus précisément, se l’approprie, le locus de contrôle devient plus interne, la proximité affective devient sensible. Plus ce processus progresse, plus l’exploration devient dynamique.
- La compréhension de soi arrive spontanément à la suite d’une exploration dynamique : le consultant découvre une nouvelle manière de s’expliquer sa difficulté : il aboutit à une nouvelle perspective sur soi. Il fait des liens, nouveaux pour lui, entre des données de son problème. Cette nouvelle manière de comprendre et d’expliquer ce qui lui arrive libère de l’énergie et conduit au désir de changer.
- L’action : partant de cette mobilisation d’énergie, il s’agit d’aider à la mise en place précise d’options concrètes qui tiennent compte des ressources et des limites du consultant.
Ce travail d’accompagnement dans l’exploration, la compréhension puis l’action est basé sur l’établissement d’une relation de confiance. Une telle relation ne peut s’établir que si le consultant ressent de la part du conseiller qui l’accompagne avec empathie, du respect, de la chaleur et de l’authenticité.
3-2 Travailler le conseil, n’est pas faire de la thérapie.
Le type de relation proposé est bien cadré, il ne s’agit pas d’une prise en charge thérapeutique : le but n’est pas de travailler à long terme sur les difficultés que la personne entretient avec elle même, l’objet est d’aider à une relation personne-environnement. Dans le cadre de ce travail centré sur la transaction personne-environnement, il se peut que l’investigation descende en profondeur vers des aspects centraux de la personnalité connectés à un passé plus ou moins lointain. En effet, les valeurs qui étayent les choix professionnels sont ancrées dans l’histoire individuelle. On peut faire un lien entre les intérêts, les valeurs, les motivations, les désirs et les pulsions ; de même sous les projets il peut y avoir des rêveries, des fantasmes voire des obsessions et des délires... Les styles de personnalité, les mécanismes de résistance, les styles d’adaptation reposent sur des structures psychologiques liées à des scénarii archaïques.
Faire du conseil en orientation, c’est, pour envisager l'avenir, travailler le lien qui existe entre la difficulté d’aujourd’hui et la structuration passée. Cependant, aussi loin que l’on soit autorisé par le consultant à l’accompagner dans son histoire et son affectivité, l’objet de la relation est bien la transaction personne-environnement : il s’agit donc de revenir au présent, à la relation complexe qu’entretient le consultant (en évolution) avec son environnement scolaire ou professionnel, lui aussi en évolution, et qui devient lieu de projection des désirs des craintes etc. de l’individu. Nous sommes alors dans une plus grande conscience du «Qu’est-ce que je fais maintenant avec ce qu’on a fait de moi?» (cf. J.P. Sartre)
S’autoriser à prendre contact et à nommer l’affectif, accompagner le consultant qui explore son passé, mais pour revenir à la relation personne-environnement, marque les limites qui positionnent l’entretien d’orientation hors du champ de la thérapie même si la qualité d’écoute "clinique" qu’il requiert est équivalente.
Une autre différence fondamentale réside dans le choix du vecteur de la relation : le thérapeute analyse, utilise puis dénoue le transfert. Ici il n’est pas utilisé comme en thérapie à «l’insu» du consultant. Une alliance de travail négociée et réactualisée sert de contrat à la relation. A partir d’un énoncé restrictif résumant la difficulté présentée par le consultant ainsi que les causes qu’il lui attribue, le conseiller propose une alliance de travail qui fixera le cadre c’est à dire les buts de l’entretien et le temps dont on pourra disposer. La qualité et la précision de cette alliance garantissent la qualité de la relation. Cette alliance permet par ailleurs au conseiller de maintenir une directionnalité à l’entretien, c’est à dire, tout en maintenant son écoute, d’être garant du contrat.[7]
Il ne s’agit donc pas de soigner, mais par le jeu d’une relation intersubjective forte entre deux personnes - dont l’une, le conseiller, est un professionnel de la relation d’aide et de conseil - de permettre l’exploration d’un problème dans ses divers registres ( cognitif, affectif, somatique, comportemental, contextuel ) pour le comprendre autrement et ainsi dégager l’énergie qui donne du pouvoir sur son destin et l’envie de le changer.
Seule une relation où l’on travaille avec l’émotion permet d’aider face à des problèmes fortement investis. Le consultant n’accepte de se dévoiler et de prendre le risque d’un nouveau regard sur lui que dans la sécurité et la confiance. Pour cela, il a besoin d’une relation sécurisante où l’authenticité du conseiller ne fait pas de doute.
Ce travail d’entretien où il peut être question de changement, voire de développement au sens rogérien est basé sur des convictions humanistes dont voici quelques postulats :
- la personne «sait» ce qui est bien pour elle, elle est experte pour elle même, cependant il est possible de l’aider à cheminer face à ses difficultés ;
- la personne est largement influencée par son environnement, cependant des choix sont toujours possibles et le degré de liberté est souvent plus large qu’on ne le pense ;
- chacun possède une capacité à changer, c’est à dire une aptitude à apprendre de nouveaux comportements et à en désapprendre d’autres jugés indésirables ;
- il n’est pas de petits changements : chaque pas dans cette direction redonne du pouvoir et libère de l’énergie qui permet alors de penser un changement plus grand.
Ce travail d’aide et de croissance, basé sur la qualité de la relation, aucune autre technique qu’elle soit informatique, de testing, d’éducation des choix, d’animation de groupe etc. ne permet de le réaliser. Le conseiller d’orientation qui en a acquis la capacité grâce à la pratique de l’autosupervision devient donc lui même, en sa personne, un outil de travail irremplaçable dans l’accompagnement des individus en démarche d’orientation. Rassurons-nous, la limite à sa toute puissance est vite posée, car c’est le consultant qui effectue l’essentiel du travail ; ce qui peut nous être donné, c’est de l’aider un peu dans sa volonté d’avancer...
Cependant aider un consultant dans sa volonté d’avancer, c’est travailler avec lui jusqu’à la prise de décision et le passage à l’action.
3-3 L’entretien de conseil est une relation d’aide qui va de l’accueil du consultant à l’accompagnement dans l’action.
L'entretien a permis de nouer une relation de confiance pour travailler une difficulté. Cela est important, mais dans les situations rencontrées en orientation il y a, la plupart du temps, le souci légitime de suivre le consultant jusqu'à la concrétisation du choix ou du changement envisagé : nous avons à accompagner les personnes de l'accueil jusqu'à la réalisation.
Cas n°3
Marie-Claire B. (11 ans, 6e, entretien au collège)
Marie-Claire est petite, blonde, les yeux bleus malicieux, elle est dynamique et volontaire.
Elle a pris rendez-vous elle-même : elle vient de décider d'entrer dans la police, elle a envie d'être motard et cherche des informations sur ce métier.
Je lui indique le cursus à suivre, lui donne des références documentaires et quelques pistes pour compléter son information si elle le désire.
Ayant la sensation qu'une relation de confiance a commencé à s'établir, je reviens à ses premières paroles : " tout à l'heure, en entrant, tu as dit que tu avais changé d'idée de métier et que maintenant tu voulais être motard, pourquoi ce changement, est-ce que tu veux en parler?" Marie-Claire explique qu'elle voulait être professeur mais qu'elle a abandonné à cause de mauvaises notes en math depuis deux mois, alors qu'avant elle était très bonne. "j'ai abandonné mon idée d'être professeur parce que, à cause des mauvaises notes en math, je n'y arriverai jamais ". Je lui propose de focaliser l'entretien sur cette problématique, elle accepte.
Elle avance vite, visiblement, elle a déjà pensé à son problème. Au début, elle accuse le professeur de math, "c'est sa faute à lui", il l'a accusée d'avoir copié sur sa voisine, c'était injuste, elle s'est butée pour bien lui montrer qu'il avait tord, elle n'a plus rien fait du tout, elle a eu de mauvaises notes. Ses parents ont réagi en la punissant, sa réaction a été de se buter encore plus. Résultat, elle a trois de moyenne en math, elle ne fait plus son travail, elle n'écoute plus, elle ne comprend plus... Elle pense que c'est grave mais elle ne voit pas de solution...
Elle explore sa manière d'être, les sentiments qui y sont liés, les souvenirs difficiles que cela évoque. Elle fait le lien entre l'école où il y a des "chouchoutes" bien vues par le professeur et la maison où sa petite sœur est la préférée. Elle découvre qu'elle vit avec un sentiment d'injustice permanent. Elle se rend compte que se buter ainsi correspond à sa manière habituelle de réagir quand il y a une difficulté avec ses parents. A la maison, elle se bute et son père finit par céder... En fait, son père lui passe beaucoup de choses... plus qu'à sa petite sœur... qui n'est pas... forcément ... toujours la préférée... Par ailleurs, elle prend conscience de la différence de contexte entre l'école et la maison. Son professeur ne réagit pas comme son père... Il ne va peut-être pas céder.
Après avoir fait le tour du problème, émerge un désir de "réparer" que je propose de travailler dans un entretien suivant qui sera destiné à trouver des solutions.
Sa problématique s'exprime maintenant ainsi : " si je voulais à nouveau avoir de bonnes notes en math, pour pouvoir devenir professeur, je pourrais..."
Je l'aide à produire diverses solutions ou options possibles qui sont approximativement les suivantes :
- demander à changer d'école ;
- demander à changer de classe ;
- changer de place dans la classe pour me remettre devant ;
- me remettre à travailler ;
- rattraper mon retard en prenant des cours, en me faisant aider ;
- m'expliquer avec mon professeur ;
- en parler avec mes parents pour qu'ils arrêtent de me disputer à cause des maths ;
- etc.
Chaque option est ensuite reprise, pour réfléchir aux avantages et aux inconvénients qu'elle y voit. Curieusement, c'est l'option "rattraper mon retard" qui l'accroche le plus et qui emporte la décision. Pour elle, c'est celle qui est la plus chargée affectivement : elle refait une boucle d'exploration de sa problématique à partir de ce "rattraper mon retard". Rattraper son retard, c'est ne pas se faire rattraper par sa petite sœur. Se remettre aux maths, c'est, quoi qu'il en coûte, maintenir la distance avec celle qui la poursuit et qui réussit bien.
La décision est prise. Ce qui paraît important, c'est qu'elle se soit approprié cette solution. Je ne suis pas certain que le conseil, pourtant judicieux, de rattraper son retard, prodigué de l'extérieur lors du premier entretien eût été investi de la même énergie.
Un plan d'action est mis en place : rattraper son retard, c'est prendre des cours, en parler avec ses parents, se renseigner, voir le prix, les possibilités. C'est rester dans la même classe mais en changeant de place, c'est réviser seule, décider d'écouter en classe. C'est en parler au professeur, mais cela lui paraît trop difficile, j'accepte de servir d'intermédiaire. Chacun a une part de travail à effectuer, nous nous reverrons dans une semaine pour faire le point...
4 L’entretien de conseil ainsi défini peut devenir une caractéristique professionnelle repérable et développable.
4-1 Un point d’ancrage pour les conseillers
Ces précisions dans la définition de l'entretien de conseil en orientation nous permettent de nous positionner, de prendre une place et d'en situer les limites. Ces limites sont établies à la fois par le cadrage institutionnel et par le respect de la demande du consultant.
La clé d'entrée, un modèle centré sur la personne du consultant en relation authentique avec le conseiller, permet une unité dans la pratique, quel que soit le problème posé ou la personne rencontrée. Cela nous permet d'avoir une pratique plus cohérente, qui n'est pas uniquement reliée aux choix personnel de chaque conseiller ou de son improvisation dans chaque situation d'entretien. Cela débouche sur une plus grande lisibilité pour le public du travail de conseil en orientation, si nécessaire à une perception cohérente de la profession.
Un lien congruent entre modèles théoriques et pratiques quotidiennes s'affirme dans ce champ. Pratiques et théories s'y nourrissent mutuellement et cela permet de penser et d'agir d'échanger, de se former, pour dépasser les options individuelles ou chacun se constitue un savoir faire tacite sans références théoriques. Une professionnalisation de l'entretien de conseil se dessine, une technicité évaluable peut se transmettre. Cette professionnalité, cette technicité ne s'affirment pas ici dans la création d'outils mais dans un travail sur la manière d'être du conseiller : il s'agit de développer sa capacité à établir une relation de confiance pour accompagner les consultants dans leurs difficultés. La supervision puis l'apprentissage de l'autosupervision que chaque conseiller peut appliquer avec rigueur en analysant chaque situation avec des grilles précises, permettent le développement de cette professionnalité identifiable.
L'entretien ainsi effectué constitue un des points d'ancrage de la profession de conseiller d'orientation psychologue. La spécificité du conseil en orientation contribue à nous définir[8], pour nous même et nos consultants, mais aussi par rapport à tous ceux qui aujourd'hui "s'occupent" d'orientation : professeurs principaux, officines privées, missions locales, CIBC etc. en nous conférant une professionnalité à "haute teneur psychologique", spécifique du champ de l'orientation, complétée par nos capacités d'expertise ( à condition d’être rigoureux sur l’utilisation de l’expertise ) et nos connaissances du monde des formations et du travail.
4-2 Un moyen de développer les compétences et la professionnalité en entretien : le travail d’autosupervision :
Les stages de formation à l’autosupervision permettent de travailler de manière expérientielle au plus proche de la réalité en effectuant des entretiens entre stagiaires à partir de problèmes réels et professionnels. La méthode est intégrative dans la mesure où chaque stagiaire fait des apprentissages en tant que conseiller, mais aussi en tant que consultant et observateur. Cette méthodologie a été crée puis introduite et développée en France par Conrad et René Lecomte et leur équipe de formateurs québécois. Elle est décrite dans «L’entretien avec des publics difficiles» (C. Combase et N. Baudouin). L'annexe I : contenus pédagogiques des formations à l’autosupervision niveau I et niveau II, donne des informations. Cependant, ces documents parlent peu des apprentissages personnels qui peuvent être intégrés au cours de ces stages.
C’est ce que je voudrais aborder maintenant sous forme d'un «inventaire» non exhaustif.
Dans une formation à l’autosupervision, pour un stagiaire, il est possible de :
- découvrir que les apprentissages importants que l’on fait dans le domaine de la psychologie sont des apprentissages que l’on vérifie en les éprouvant sur soi. On mesure mieux alors pourquoi le «cognitif» tant privilégié dans nos études n’est pas toujours suffisant pour aider un consultant face à une difficulté ;
- prendre conscience que le changement et le développement existent et le vérifier sur soi ;
- éprouver la réalité de la relation d'aide, profiter de cette aide pour avancer sur une difficulté professionnelle et vérifier que l’on peut aussi quelquefois aider les autres ;
- faire l’expérience de l’empathie, du lien à l’autre qui permet d’avancer, du manque d’empathie qui bloque la relation ;
- mettre en place une démarche rigoureuse, difficile - mais qui procure du plaisir, dans la mesure où on se sent progresser - qui, partant de la supervision par un formateur va vers l’autonomie, c’est à dire la capacité à évaluer sa propre pratique à l’aide de grilles permettant une analyse claire, basée sur des concepts précis ;
- mettre en route une démarche de travail relationnel et découvrir qu’il s’agit d’un processus de développement de soi qui peut se poursuivre indéfiniment, le stage n’étant qu’un temps fort de ce processus ;
- abandonner l'idée que l'on peut ou qu'il faut faire et décider pour l'autre. Il devient alors plus facile de lui laisser la place pour "exister" davantage ;
- découvrir que nous avons tous beaucoup plus de ressources que nous ne le pensons mais que nos systèmes éducatifs nous ont appris à insister davantage sur les difficultés ;
- ressentir que le respect de l’autre est particulièrement important dans la relation ;
- mieux prendre conscience de la manière que chacun a d’influencer l’autre dans une situation d’influence interpersonnelle ;
- ressentir, par moments, des difficultés lourdes lors d’un apprentissage important ;
- éprouver du plaisir à avancer, à se découvrir, à communiquer...
La liste serait longue, en fait, il en est des stages comme de la situation d’entretien de face à face, chacun arrive avec sa demande. Le rôle des formateurs, est d'essayer d’y répondre au plus près, avec respect, sans jamais l’outrepasser.
Epilogue[9]
- Lionel s’est marié environ six mois plus tard. J’ai appris par hasard qu’il était maintenant papa d’une petite fille.
- Liliane a pris un rendez-vous pour mettre au point son projet d’études et n’y est pas venue. Je ne l’ai pas revue. Une collègue l’a reçue au lycée, elle cherchait des précisions sur les contenus et modalités d’inscription en DEUG de Polonais.
- Gilles a répondu à une enquête de suivi du C.I.B.C. : il est en 2de année de DEUG de droit.
- J’ai revu Marie-Claire. Elle a rattrapé son niveau de maths avec une rapidité étonnante. Ses professeurs disent que son mauvais caractère s’affirme de plus en plus.
Bibliographie
- BAUDOUIN, N. et COMBASE, C. L'entretien avec des publics difficiles. In Questions d'Orientation. N°2, juin 1994.
- CHARESSON, N., L’entretien en orientation, approche d’une pratique. In Dialogue Orientation, N°27, à paraître en 1996.
- LECOMTE, C., L'orientation, une question de transactions personne-environnement. In Pelletier et R. Bujold. Pour une approche éducative en orientation. G. Morin, Montréal 1984.
- LECOMTE, C., L'orientation à la recherche de son identité. In Bulletin de l'ACOF, numéro spécial "L'entretien en orientation" E.A.P., 1988.
- LECOMTE, C. et CASTONGUAY, G., Rapprochement et intégration en psychothérapie : psychanalyse béhaviorisme et humanisme. G. Morin, Montréal 1987.
- LECOMTE, C. et TREMBLAY, L., Entrevue d'évaluation en counseling d'emploi. Institut de recherches psychologiques, Montréal 1987.
- ROGERS, C., Le développement de la personne, Dunod, Paris 1970.
[1] Des collègues m’ont fait part d’anecdotes semblables qui ne semblent pas si rares.
[2] Une partie de mes rendez-vous en établissement est gérée par le secrétariat. Les élèves «défilent » toutes les demi-heures. Je me réserve la gestion d’une autre part pour effectuer un travail de suite ou pour des entretiens qui risquent d’être plus longs. C’est dans ce cadre que je fixe moi même un second rendez-vous.
[3] On peut cependant se poser la question de l’utilisation qu’ils font de "l'oracle" qu’ils sollicitent car ils ne semblent suivre que les conseils qui leur "conviennent"...
[4] On continue de s’interroger sur ce modèle qui veut objectiver des caractéristiques personnelles puis en faire la somme et sur la rationalité des modes de décision individuels qu’il suppose. Est-ce la bonne manière de traiter de la complexité des personnes?
[5] cette conception suppose que le consultant soit demandeur et qu’il possède des ressources minimum pour traiter de sa difficulté. Par exemple, il n’est pas ici question des cas d’extrême urgence, que nous connaissons tous, pour qui il faut, dans des délais très rapides trouver une «solution» pour faire face au quotidien. Dans ces cas, la véritable problématique d’orientation (qui semble liée à une compulsion à se retrouver dans des situations inextricables et urgentes) devrait être travaillée ultérieurement.
[6] Les termes en italique gras sont empruntés à la terminologie utilisée ou élaborée par Conrad Lecomte dans le cadre de son travail d’autosupervision de la relation d’aide.
[7] La réalité qui n’est pas si simple, échappe aux tentatives de modélisation. Généralement les consultants attribuent leurs difficultés à des causes diverses. Aussi, des alliances de travail, prenant en compte cette diversité, sont souvent renégociées en cours d’entretien.
[8] Il s'agit d'une tentative de définition du travail de conseiller en situation de face à face et dans un type d'entretien. Notre profession recouvre d'autres situations, d'autres registres techniques qui mériteraient d'être redéfinis.
[9] Ces cas sont réels, j'ai choisi des exemples positifs et clairs pour faciliter la démonstration... La réalité n'est pas aussi simple...