Carl ROGERS

 

Carl Rogers (1902-1987), psychologue américain appartenant au courant humaniste, est le fondateur de "l'Approche Centrée sur la Personne".

 

Le texte suivant est un extrait de la conférence sur le counseling donnée par Alain LEU pour la journée d'études "Pratiques du counseling" organisée à Paris le 3 octobre 2015 pour célébrer les vingt ans de TRAVERSES.

 

Au cours de sa longue carrière de psychologue, ROGERS a réalisé plusieurs choses très importantes :

 

Un renversement épistémologique : l’expert n’est plus le psychologue, l’expert, c’est le consultant, c’est la personne.

« La psychologie clinique jusque dans les années 30 restait centrée exclusivement sur les tests d'intelligence et l'évaluation de la personnalité... Rogers opère un renversement total de la place de la personne dans le dispositif d'aide. La connaissance de soi que donnaient les tests restait une connaissance extérieure à la personne. Rogers replace la personne au centre du dispositif d'aide qu'il déconstruit au profit d'une relation. Par ailleurs, la connaissance en jeu dans la relation d'aide est une connaissance de soi saisie de l'intérieur et ce d'autant plus que la personne est posée d'emblée comme un sujet possédant en lui la totalité des connaissances sur lui-même. » (Catherine TOURETTE-TURGIS 1996)

 

En opérant ce renversement total de la place de la personne dans le dispositif d’aide, ROGERS se place dans une posture de philosophe humaniste. Il renoue ainsi, en se basant sur son expérience, avec un très vieux courant de la pensée humaniste qui accorde une valeur suprême à l’être humain, qui respecte l’Homme, qui croit à son développement personnel, posture qui traverse les âges et les sociétés depuis la nuit des temps. Pour ce qui concerne notre culture, il est facile de faire le lien avec Socrate et sa maïeutique mise au service de son célèbre « connais-toi toi-même » traduit parfois par « prends soin de toi ». C’est aussi le « Sapere aude » emprunté à Horace (Épitres, I, 2, 40) signifiant littéralement « Ose savoir ! ». Cette injonction plus couramment traduite par « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » est connue pour être la devise des Lumières. Selon Emmanuel Kant. « Le mouvement des Lumières est la sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. » Cela, ROGERS le dira à sa manière : « Ni la Bible, ni les prophètes – ni Freud, ni la recherche – ni les révélations émanant de Dieu ou des hommes – ne sauraient prendre le pas sur mon expérience directe et personnelle » (2005, page 20) Parmi les philosophes modernes, ROGERS fait référence à Kierkegaard (Pour la partie de son œuvre travaillant la subjectivité le lien à l’autre et annonçant l’existentialisme.), à Heidegger (pour sa conception de l'être et de « l'être au monde ») , à Husserl (pour la phénoménologie et l’importance de l’expérience).Ce faisant, Carl ROGERS renoue avec un courant philosophique humaniste ancien qui dépasse largement le counseling américain et qui donne une assise, une conception de l’Homme et des valeurs à sa recherche psychologique.

Une recherche de psychologue.

 Michel ONFRAY (qui ne semble pas connaitre ROGERS) dit souvent qu’il existe deux sortes de philosophes : ceux qui cherchent à créer de nouveaux concepts (ceux qu’il n’aime pas) et ceux qui cherchent à mettre leur vie en accord avec leurs pensées (ceux qui mettent en œuvre leur philosophie). On peut penser que Carl ROGERS était de ceux-là. Comment mettre en œuvre ces valeurs humanistes dans la réalité du travail d’accompagnement des personnes en difficulté ? Comment concrètement mettre en œuvre ces concepts philosophiques ? Comment permettre aux personnes d’être expertes pour elle-même, comment les aider à faire confiance à leur expérience, à penser par elles-mêmes, à retrouver leur « tendance actualisante » ? Telle aurait pu être la question centrale de Carl Rogers. Il a œuvré toute sa vie dans cette direction. Pour ce faire, il mène une recherche pragmatique. Il enregistre[4] psychologues et consultants[5]. (La problématique de l’enregistrement qui fausserait la relation est un débat qui n’est pas clos, il n’empêche que cette technique a porté ses fruits.) C’est ainsi qu’il élabore tout ce qui deviendra des repères évidents concernant les relations d’aide, mais qui à l’époque n’étaient pas du tout reconnus.

Il met en œuvre les premières mesures pragmatiques concernant les relations d’aide ; constate que les consultants reprennent confiance, avancent plus sur leurs difficultés lorsqu’on les écoute plutôt que lorsqu’on leur donne des conseils. Il conceptualise les trois conditions favorisantes que sont l’empathie, la congruence et l’acceptation positive inconditionnelle.

-          L’empathie : il faut bien noter que l’empathie était connue, le concept était repéré par les psychologues, notamment Harry Clark Sullivan aux Etats Unis, mais c’est Rogers, le premier qui fait de la résonance empathique un outil de la relation d’aide. Il s’agit d’éprouver de l’empathie et surtout de nommer ce que l’on éprouve pour le partager et le vérifier.

-          La congruence : il s’agit d’être authentique, d’oser se montrer tel que l’on est dans la relation à l’autre. ROGERS disait clairement : « Dans mes relations avec autrui, j’ai appris qu’il ne sert à rien, à long terme, d’agir comme si je n’étais pas ce que je suis. » (ROGERS, 2005, p. 14)

-          L’acceptation : accepter l’autre lui permet de s’accepter lui-même avec tous ses défauts et ses limites et c’est à partir du moment où on s’accepte soi-même que l’on peut commencer à changer.

Il définit par ailleurs un ensemble de techniques de communication : les reflets, les reformulations, les questions ouvertes, le respect des silences, qui figurent actuellement dans tous les livres sur l’entretien ou la relation d’aide, qui semblent aller de soi, mais que ROGERS et ses collaborateurs ont, petit à petit, élaboré en écoutant les enregistrements et en analysant les effets produits chez les consultants. On peut déplorer que l’enseignement de ROGERS soit souvent réduit à ces aspects techniques…

Ces recherches vont ouvrir la voie à un puissant courant thérapeutique : les thérapies humanistes existentielles, connues aux Etats Unis sous le nom de 3ème force (la première était l’approche psychodynamique – qui englobe les divers courants psychanalytiques – la deuxième le courant comportementaliste cognitiviste)

Un défi aux organisations.

Rogers ira plus loin dans sa tentative pour mettre en œuvre son concept de respect des personnes. Dépassant le cadre de la recherche en psychologie, il intervient au plan sociopolitique. A cette époque, aux Etats Unis, la possibilité d’être thérapeute était rigoureusement contrôlée et réservée aux médecins psychiatres. Rogers eut l’idée de créer une profession nouvelle : les counselors, ni médecins, ni psychologues. Aujourd’hui, cette profession, qui possède un haut niveau de formation en psychologie représente une véritable force. L’Association des Counselors Américains comporte presqu’autant de membres que l’Association des Psychologues Américains. Ces counselors, dont la profession s’est largement développée juste après la seconde guerre mondiale, ont beaucoup travaillé pour l’accueil des combattants lors de leur retour au pays. Ils ont eu à s’occuper autant de thérapie que d’orientation et d’insertion. Pratiquant de manière indifférenciée counseling personnel (entendons thérapie) et counseling de carrière (orientation, insertion), ils brouillent les cartes, pour nous français qui avons besoin de différencier ces métiers...

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