Table ronde ACOP-F Albi. Intervention d'Alain LEU
Pour voir la table ronde : https://www.youtube.com/watch?v=cHrQV3ZX6FM&
Texte publié dans Questions d'Orientation N°3 septembre 2016
Cette table ronde s’intitule « Les pratiques d’entretiens », or j’interviens ici en tant que représentant du courant du counseling, courant pour lequel l’entretien est d’abord une pratique. Je vais donc parler d’une pratique d’entretien tout en sachant que parler ce n’est pas vraiment pratiquer…
Je me présenterai en disant que l’entretien de counseling, pour moi, c’est concret. C’est d’abord une expérience à vivre. J’avais lu des livres sur ce sujet, mais en 1991, j’en ai fait l’expérience lors d’une université d’été animée par Conrad LECOMTE et son équipe. Cette expérience a eu un impact professionnel et personnel important et c’est ce qui explique pourquoi, 25 ans plus tard, je me trouve ici devant vous aujourd’hui. J’ai alors découvert qu’en tant que sujet, je pouvais faire confiance à ma propre expérience, à ma subjectivité, à mes particularités, à mes doutes, mes vulnérabilités, pour avancer dans ma vie et mes choix. J’ai découvert qu’il était possible d’aider ceux et celles qui le voulaient à avancer dans cette direction et j’ai commencé à apprendre à le faire. J’ai commencé un apprentissage qui n’est jamais fini mais qui est passionnant : comment aider les autres, les humains en général, à être vraiment sujets de leur vie…
Je suis ici, aussi, parce que je suis un des membres de l’association TRAVERSES. TRAVERSES est une association qui regroupe environ 20 formateurs superviseurs à l’entretien de conseil, cette association propose des formations mais surtout elle offre à ses adhérents, elle m’offre, un espace de réflexion, de formation théorique et de supervision de ma pratique.
Se réclamer du counseling signe une appartenance à un courant anglo-saxon. Pour nous, ce n’est pas une mode des choses en « ing », le counseling est né en 1909 avec Parson, a été largement influencé par Rogers et continue d’évoluer. Il s’agit d’un ancrage dans un courant vivant, peu connu en France mais important au plan international, reposant sur des fondements théoriques et techniques. Pour situer simplement le counseling, je prendrais une définition empruntée à Catherine TOURETTE-TURGIS (Université de Rouen) : Il s’agit d’une « relation dans laquelle une personne tente d'aider une autre à comprendre et à résoudre des problèmes auxquels elle doit faire face. » (1996, Que sais-je « le counseling » page 24). J’ajouterai comprendre et résoudre en s’appuyant sur ses propres ressources et sur celles de son contexte tout en tenant compte de ses « limites » et « des contraintes » de l’environnement. En France, on peut aussi citer Alexandre LHOTELIER qui, par opposition à donner des conseils, parle de « tenir conseil », (c’est la meilleure traduction de counseling en français) et pour qui « tenir conseil c’est : délibérer pour agir » car effectivement nous pensons qu’il est important de pouvoir agir face aux difficultés.
La posture du conseiller psychologue.
Avant de poursuivre, je ferai un détour pour préciser la posture du conseiller psychologue. Les questions d’orientation sont des questions qui se posent à des personnes (jeunes ou adultes) qui ont à comprendre et négocier leurs relations au contexte dans lequel elles vivent. Ce contexte est globalement difficile. Mentionnons rapidement : un taux de chômage structurel maintenu à un haut niveau et qui exacerbe la compétition sociale, une école qui amplifie les inégalités sociales, une société où les inégalités et les injustices s’amplifient, etc. Lutter pour obtenir une société plus juste est une chose importante. Mener un entretien en est une autre. Lors d’un entretien, il s’agit d’aider la personne à comprendre comment ces déterminismes sociaux (ou d’autres déterminismes plus personnels) impactent sa dynamique psychique afin de l’aider à développer la conscience de soi.
Etre psychologue, c’est s’occuper de cette dynamique psychique. En exergue du code de déontologie (version février 2012) est écrit en gras : « Le respect de la personne dans sa dimension psychique est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l’action des psychologues »
Tenir une posture de psychologue, c’est prendre en compte ces enjeux psychiques, c’est se situer du côté de la personne. Pour cela il faut avoir du courage et savoir résister pour refuser de traiter les questions d’orientation comme de simples questions d’adaptation à l’offre de formation ou au marché de l’emploi, refuser « d’araser l’humain au profit des logiques comptables et marchandes » (Roland Gori), refuser d’entrer dans les protocoles normalisés d’entretien. Il faut, pour soi en tant que conseiller, identifier les injonctions pour pouvoir y résister et réussir à offrir un espace de liberté où pourra s’exprimer le consultant, espace de liberté lui permettant de réfléchir « au gouvernement de soi » tout en tenant compte des autres et du contexte.
Prendre en compte les enjeux psychiques à l’œuvre dans les choix d’orientation relève d’une posture clinique. La clinique (définition de LAGACHE 1949 in Psychologie clinique et méthode clinique) prend en compte « la personne totale, en situation ».
Le counseling comme approche clinique spécifique.
La posture du counseling centrée sur la personne, basée sur une écoute qui prend en compte la personne dans sa globalité à partir de son vécu subjectif, tout en la situant dans son contexte est bien une posture clinique. Mais elle a pour objectif de tenir conseil, c'est-à-dire de co-construire des réponses aux demandes exprimées par la personne venue consulter le conseiller. Ainsi elle se démarque d’un côté de l’expertise (basée sur une évaluation externe à la personne) et de l’autre côté de la thérapie dont l’objectif est de soigner.
Le counseling donne des repères pour construire une réflexivité professionnelle de conseiller psychologue qui tient cette posture spécifique : celle du tenir conseil. Dans notre approche, le professionnel est certes un expert dans son champ d'intervention (l'orientation), il est expert de lui-même en relation (le conseiller est son propre outil), il est aussi expert en relation, mais il n’est pas expert de l’autre, il ne pense pas pour ou sur la personne, il pense avec.
Le counseling moderne tel que nous le pratiquons n’adopte pas la posture a théorique de Rogers qui écrivait dans l’introduction au « Développement de la personne » : « Ni la Bible, ni les prophètes – ni Freud, ni la recherche – ni…ni… – ne sauraient prendre le pas sur mon expérience directe et personnelle. ». Aujourd’hui, l’expérience reste centrale, mais nous pourrions dire : « et Freud, et la recherche, et le courant de l’intersubjectivité, et les théories de l’attachement, etc. nous sont des appuis importants. »
Je voudrais maintenant donner quelques points de repère qui illustrent concrètement notre manière de travailler en entretien.
L’importance de créer une relation de confiance.
La situation d’entretien est particulière : c’est une relation dissymétrique (un consultant, un conseiller) dans un cadre professionnel qui met en jeu des rôles et des statuts sociaux, des représentations, des attentes… tout cela a un impact, peut faire obstacle à la rencontre. Réussir un entretien, c’est faire qu’il y ait rencontre authentique entre deux personnes, malgré ces obstacles. C’est dire l’importance de la qualité relationnelle à mettre en œuvre. J’évoquerai rapidement deux exemples extraits d’un large échantillon : le jeune amené quasiment de force par un CPE jusqu’à la porte de mon bureau et qui clame : « J’m’en fou, je lui parlerai pas » et la Dame qui vient demander « les adresses des meilleures classes préparatoires pour son fils qui est en terminale S » et qui veut surtout connaitre « les stratégies pour passer avant les autres, comme font les enseignants. ». Avec ces personnes, non demandeuses, a priori en situation de refus, d’opposition, de revendication, mais aussi avec d’autres qui semblent plus en ouverture, si l’on veut mener un entretien où elles expriment ce qui, au-delà des premiers mots les préoccupe, il va falloir créer une relation, s’approcher de leur subjectivité, qu’elles se sentent acceptées. Il appartient au conseiller de tenter de créer ce lien qui permettra la « rencontre ». Le jeune cité en exemple, comme la dame, après quelques minutes d’entretien exprimeront ce qui les préoccupe. Ainsi la dame dira « je suis inquiète pour mon fils, je ne le sens pas motivé pour ses études ».
Ce travail d’approfondissement des qualités relationnelles du conseiller s’effectue sur deux registres : d’une part la supervision qui développe la conscience de soi en relation et d’autre part les apports théoriques du courant de l’intersubjectivité, en particulier le concept de « besoin en relation » mis en évidence par Kohut, psychanalyste américain qui travaillait en empathie avec ses consultants.
L’importance de l’écoute.
Si la relation est satisfaisante, si la confiance s’établit, le consultant se sentant reconnu, respecté, validé, va pouvoir s’approcher de lui, parler de lui. Il aura alors besoin d’être écouté avec précision pour continuer son travail d’exploration. Il s’agit d’une posture d’écoute active qui signifie clairement au consultant que le conseiller est entrain de l’écouter, qu’il accorde de l’importance à ce qui est dit. Cette écoute est centrée sur la personne, pas sur le problème. C’est une écoute ouverte qui accompagne ce qui est dit, et on ne peut pas savoir à l’avance ce qui va se dire, mais il y a bien une direction au travail : il est centré sur la personne avec une intention, qu’elle se comprenne mieux, qu’elle « mentalise » son expérience.
Le développement des capacités d’écoute du conseiller se travaille en formation, par l’apport de certaines techniques mais essentiellement par la supervision.
L’importance de l’empathie.
Depuis la découverte des neurones miroirs, l’empathie est à la mode. Pour nous, c’est depuis longtemps un de nos outils de travail en relation d’aide. Cependant, il ne suffit pas de ressentir ce que ressent le consultant, « comme si on était lui » tout en étant différent, tout en restant soi-même, comme le mentionnait Rogers. L’empathie ne devient un outil qu’à partir du moment où ce qui est ressenti est verbalisé et partagé. Un des objectifs est que le consultant puisse satisfaire ses besoins en relation : besoins de se sentir compris, entendu et reconnu. L’empathie permet d’accéder à une compréhension sensible et singulière du consultant. On dit : éprouver par empathie. Le climat ainsi établi va permettre de favoriser l’émergence d’un lien émotif nécessaire pour accompagner le consultant dans un processus de changement.
Nous possédons des repères théoriques permettant d’analyser la relation empathique. C’est une relation dans laquelle conseiller et consultant sont sur un fil, comme deux funambules. Au conseiller de tenter de maintenir l’équilibre. Cet équilibre peut s’infléchir du côté de ce que nous nommons consonance : de ce côté, le conseiller est trop proche de son consultant, a trop envie d’aider, se sent coupable de ne pouvoir aider « autant qu’il faudrait ». Pris dans la relation, il n’est plus en mesure travailler la dimension psychique de la problématique. Il peut aider matériellement mais perd alors sa capacité d’aider à mentaliser. De l’autre côté du fragile équilibre de la résonnance empathique, le conseiller peut être en dissonance. Il est alors trop loin, le consultant l’agace, il n’a plus envie de l’aider, il rappelle la règle, lui donne des conseils… Comprendre ce qui se joue dans ces écarts à la résonnance empathique, c’est réfléchir à comment la personne du conseiller interfère dans la relation : c’est une partie importante de notre travail de supervision. (On pourrait ici faire des liens avec les notions de transfert et contre-transfert).
Suspendre les « solutions ».
Tenir conseil en entretien, c’est se mettre à deux à réfléchir à une problématique pour découvrir, ensemble, des solutions qui n’étaient pas préétablies. C’est donc suspendre le temps pour éviter de foncer dans des solutions toutes faites. Or, la demande est très souvent une demande de conseil, d’oracle (dites moi pour quoi je suis fait), d’informations qui sont sensées résoudre les problèmes. Nos consultants n’ont pas forcément l’habitude de réfléchir, ils n’ont pas fait de stage de formation à l’entretien, ils veulent le plus souvent des réponses immédiates. Les consultants apportent dans l’entretien la pression qu’ils vivent dans leurs contextes et la font vivre au conseiller. Supporter cette pression pour ouvrir, même a minima, un espace de réflexion appartient au conseiller. Parfois l’urgence oblige à décider immédiatement, mais moins souvent qu’il n’y parait, et même dans l’urgence extrême, il est possible d’ouvrir un espace pour réfléchir… à comment anticiper la prochaine fois.
Dans une telle perspective, tout l’art du conseiller va consister à suspendre les solutions tout en maintenant le lien avec le consultant, en évitant la rupture. Ainsi, si je reviens à la dame à laquelle je faisais allusion tout à l’heure, je lui ai apporté un classement des meilleures classes préparatoires que nous avons examiné ensemble. Cela a maintenu un lien jusqu’à ce que, plus en confiance, elle parle de ce qui la préoccupe à savoir « le peu de motivation de son fils pour les études ». Nous voilà sortis de la simple information, nous avons alors un objet de travail possible.
Aller à l’essentiel de ce qui s’exprime pour aider à problématiser.
Accompagner un consultant, c’est partir de ses représentations, c’est accepter de poser ses difficultés dans les termes où il se les pose. C’est commencer par le valider, le reconnaître pour avancer avec lui, à son rythme, en partant de là où il est. Mais, dans ce qu’exprime le consultant, certaines choses sont importantes, centrales, d’autres moins. L’écoute à un second niveau sous forme « d’empathie avancée », permet de ressentir ce qui est central pour le proposer au consultant tout en sachant qu’il est le seul à décider de l’importance. Il ne s’agit pas d’interpréter ce qu’il dit, il s’agit de l’aider à extraire ce qui est « central » pour lui. Cette notion est subtile : n’est pas forcément central ce que le consultant agite comme « un chiffon rouge » pour se masquer ses difficultés ou pour attirer l’attention du conseiller qui l’écoute. Cependant parvenir à s’accorder sur ce qui est central peut permettre de nommer ce qui fait problème, au moins à un premier niveau, et du coup offre la possibilité d’ouvrir une réflexion sur cette problématique définie : c’est l’objet de l’alliance de travail.
Mettre en œuvre une alliance de travail.
Etre en alliance de travail, pour le conseiller, c’est d’abord être en lien avec le consultant, mais être en lien pour faire quelque chose ensemble. Dans notre cadre professionnel, c’est décider ensemble des objectifs de l’entretien, ce qui va permettre de co-réfléchir pour tenter d’aboutir à des pistes de réflexion voire des solutions qui seront celles qui conviennent au consultant. L’alliance ne se décrète pas une fois pour toute, elle dépend du lien relationnel qui unit conseiller consultant le temps de l’entretien et des objectifs sur lesquels les deux participants s’accordent. Elle fluctue et se renégocie tout au long de l’entretien. Ainsi la dame de mon exemple, après avoir élaboré au sujet de « son fils qui n’est pas motivé » (objet d’une première alliance de travail) dira : « mon mari dit que c’est de ma faute, que je le couve trop ». Il lui sera proposé une nouvelle alliance de travail, centrant la réflexion sur son attitude envers son fils. Elle ira ensuite jusqu’à une action modeste certes, mais qui témoigne d’une prise de conscience : elle réalisera que c’est à son fils de faire des démarches, elle décidera de lui proposer de venir au CIO en le laissant libre et responsable de le faire ou non…
Structurer un entretien (des entretiens).
Nous voyons à l’œuvre à travers cet exemple rapidement évoqué apparaitre une structure d’entretien. L’entretien commence par une première phase d’accueil, d’établissement de la relation et d’exploration qui débouche sur une formulation de la problématique (telle que la personne se la représente dans sa subjectivité). Cela ouvre à une seconde phase au cours de laquelle cette problématique est travaillée en accord avec le consultant (alliance de travail) pour clarifier et comprendre les enjeux. Une troisième phase dite de « concrétisation » permet au consultant de décider de quelle manière il va avancer par rapport à sa problématique en s’appuyant sur une meilleure compréhension de lui même.
Des repères pour une formation à l’entretien. (Ce qui n’a pas été dit faute de temps.)
Vous aurez compris à travers ce que je viens d’exprimer, que pour nous tenants du counseling, le principal moteur, l’énergie d’un entretien provient de la rencontre. C’est la qualité de la relation et l’empathie ressenties par le consultant qui vont le mobiliser. C’est parce qu’il se sent en confiance, qu’il va se dévoiler, mettre en mots ses problématiques et les mentaliser grâce à l’accompagnement du conseiller.
C’est pourquoi, plutôt que de former le psychologue à être expert du sujet qu’il reçoit (qui fait des études de cas, qui apprend à diagnostiquer, à classer puis à intervenir, toutes choses importantes professionnellement, mais qu’il a apprises au cours de ses études), nous travaillons avec lui essentiellement au développement de ses compétences relationnelles. En relation, la personne du conseiller est son propre outil : ses vulnérabilités, ses failles, s’il est capable de les côtoyer pour les apprivoiser, deviennent des ressources qui vont l’aider à s’approcher des difficultés de l’autre. Il ne s’agit pas de changer mais de s’approcher de qui on est. L’objectif étant de mieux utiliser qui on est en situation d’entretien ; pour ce faire nous travaillons au développement de la conscience de soi en relation.
Je ne présenterai qu’un aspect central de notre pédagogie qui consiste à donner à chaque personne la possibilité de vivre des moments d’expérience, voulus les plus proches possibles du réel, pour qu’elle découvre et élabore par elle-même et pour elle-même ses connaissances à partir de ce vécu, tout en s’étayant sur des repères théoriques éclectiques. Dans nos stages de formation il s’agit de l’expérience vécue au cours des entretiens qui sont menés lors des « mises en situation » puis travaillée en supervision. La méthodologie LECOMTE que nous nous sommes appropriée et que nous pratiquons en formation est spécifique dans la mesure où elle utilise des mises en situation travaillant sur des problématiques professionnelle réelles et non sur des jeux de rôles. Au cours de ces mises en situation (faites en petits groupes de quatre, encadré par un superviseur) chaque participant est amené à vivre l’expérience de trois postures différentes : être conseiller (c'est-à-dire mener un entretien qui sera supervisé), être consultant (ce qui signifie non pas jouer un jeu de rôle, mais être un consultant qui travaille sur une difficulté professionnelle réelle), être observateur, et faire des liens entre ces différentes dimensions.
Ce travail de conscience de soi en relation, ébauché en formation, se poursuit dans des groupes de supervision…
Le temps imparti ne permettant pas de développer davantage mon propos, j’aurai recours à la formule rituelle employée dans les CIO : « je reste à votre disposition pour toute demande d’information complémentaire… » (Vous pouvez, entre autre consulter le site www.traverses.net )
Merci de votre attention.